Sismique

Le monde change et on n'y comprend rien ! Écologie, géopolitique, économie, technologie, société... On décrypte.

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Par Julien Devaureix
26 févr. · 4 mn à lire
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Nous sommes tellement intelligents !

Les poulpes, ces gros malins

Selamat pagi !

Ca veut dire “bonjour” en indonésien. Je suis un peu en mal de voyage, mais ça n’est pas le sujet du jour.

Parlons plutôt de poulpe.

Ou plutôt, pour ne pas restreindre la conversation, des céphalopodes.

Les membres de cette famille qui comprend les poulpes donc, les calmars et les sèches, figurent parmi les créatures les plus intrigantes qui existent dans la nature. Leur corps est mou, et ils n'ont pas de squelette, seulement un bec extrêmement dur. Ils vivent en milieu aquatique, mais peuvent survivre pendant un certain temps hors de l'eau ; certains sont même capables de voler, brièvement, propulser par les jets d'eau qui leur servent à se déplacer dans l'océan. Ils font des choses étranges avec leurs membres. Ils sont très intelligents.Ils sont certainement les plus intelligents des invertébrés à tous points de vue. Les poulpes, en particulier, semblent prendre un malin plaisir à faire la démonstration de leur intelligence, lorsque nous essayons de les capturer, de les enfermer ou de les étudier. Il y a quelques années, un poulpe néo-zélandais nommé Ink a ainsi fait les gros titres de la presse, lorsqu'il s'est échappé d'un aquarium, en escaladant la valve de débordement de son bassin, avant de parcourir 2 m sur le sol, puis de glisser le long d'un étroit tuyau d'évacuation, de plus de 30 m pour rejoindre l'océan.

Dans un autre aquarium, un autre poulpe nommé Cid, a fait tellement de tentatives d'évasion, notamment se cachant dans des sauts, en ouvrant des portes et en grimpant des escaliers, qu’il a finalement été relâché dans l'océan.

Certains poulpes ont aussi été accusés de vider des aquariums et de voler des poissons, dans d'autres bassins que le leur. On en a surpris d'autres en train de jongler avec des bernard-l'hermite ou de lancer des pierres contre les vitres de son aquarium de temps en temps. Un autre encore avait pris pour habitude d'escalader les parois de son aquarium pour cracher de l'eau sur une ampoule qui était suspendue au-dessus de manière à ce qu'elle s'éteigne.

Il a aussi été démontré que les poulpes savent parfaitement reconnaître les visages humains. Bref, ils font preuve de ce qu'on appelle de l'intelligence.

Et cela nous étonne car un poulpe n’est pas vraiment fichu comme nous (vous vous en doutiez un peu, certes). Leur cerveau, par exemple, n’est pas dans leur tête, il est décentralisé, réparti dans tout leur corps et leurs membres. Ça nous étonne et pourtant ça fonctionne plutôt pas mal, et depuis au moins 200 millions d’années.

Et pourtant (bis), on ne comprend à peu près rien aux poulpes (pour creuser, voici une émission sympa ) .

Et là vous me voyez venir… Que comprend-on vraiment de l’intelligence du monde vivant qui nous entoure ?

Le livre de mon dernier invité James Bridle me fascine (je ne l’ai pas encore terminé). Je sais hélas que son interview (à retrouver ici) est difficilement compréhensible pour certains d’entre vous car en anglais, mais je vous invite à l’écouter avec les sous-titres, car elle vaut le détour.

James Bridle nous invite à déconstruire notre définition de l’intelligence et surtout à réaliser une chose : “everything is equally evolved”. Autrement dit, tout être vivant a eu le temps d’évoluer aussi longtemps que son voisin, il n’y a donc aucun être “plus évolué”. Si nous hiérarchisons les choses, c’est que nous avons décidé de définir l’intelligence comme étant “ce que les humains font”. Ainsi nous avons élaboré tout un tas de tests qui nous permettent de savoir si tel ou tel animal est capable de faire “comme nous” : utiliser un outil, se souvenir de choses, résoudre des problèmes que nous estimons complexes…

Pourtant, ce que James dit, c’est que l’intelligence est fondamentalement liée à l’environnement et au corps. Chaque être a développé des capacité de communication et de comportement parfaitement adaptés à ses besoins. Il n’y a donc pas de hiérarchie possible.

Par ailleurs son livre est rempli d’exemples illustrant le fait que nous sous-estimons largement les capacités du monde vivant à “agir”. Certaines plantes peuvent “entendre” le bruit des chenilles et réagir en fonction, et on ne sait absolument pas comment. Les arbres communiquent de manière sophistiquée entre eux, etc, etc…

Nora Bateson nous invitait dans un précédent épisode à mieux voir les connexions entre les choses. James Bridle fait de même en espérant que les nouvelles questions qu’ouvre l’intelligence artificielle et la mise en réseau de tout, nous permettent d’imaginer que d'autres intelligences existent déjà partout.

Voici un extrait de son livre :

”L’arbre de l'évolution porte de nombreux fruits et fleurs, et l'intelligence, au lieu de se trouver uniquement dans les branches les plus hautes, a fleuri en fait partout.

(…) Il existe de nombreuses façons de faire de l'intelligence : au niveau comportemental, au niveau neurologique, au niveau physiologique, et au niveau social. Cela mérite d'être répété : l'intelligence n'est pas quelque chose qui existe, mais quelque chose que l'on fait ; elle est active, interpersonnelle et générative, et elle se manifeste lorsque nous pensons et agissons.

Avec les gibbons, les gorilles et les macaques, nous avons déjà appris que l'intelligence est relationnelle : elle dépend de la manière dont elle est pratiquée et de l'endroit où elle est produite, de la forme que le corps lui donne et des connexions qu'elle établit. L'intelligence n'est pas une chose qui existe uniquement dans la tête dans le cas du poulpe, elle est littéralement pratiquée par tout le corps. L'intelligence est une manière parmi d'autres d'être au monde. Elle est une interface avec le monde, elle le rend manifeste.

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